mardi 24 novembre 2015

Chapeau !


 
  Restez assis, proposa le paysan, les bras chargés d'un fagot. Je vous apporte la soupe. Elle ravivera vos entrailles gelées.

 Je suis déjà réchauffé et dois rejoindre mon maître à Montfort. Il rentre de Cordoue d'où il ramène son cuir.

Monsieur Fer, seul vilain vivant de la vallée du Vièvre après que la peste s'est invitée pour la Noël, alla poser son tas de branchages près de l'âtre qui couvait. Il jeta des brindilles dans le restant de braises. De plaisir, le feu crépita, puis lança des flammèches vers l'hôte qui ajustait son manteau à capuchon.

 Ce terrible froid n'est pas habituel en cette saison. Pas étonnant qu'il vous ait surpris durant votre trajet. Vous tentez la mort à vouloir repartir, prévint-il pendant que l'apprenti cordouannier accrochait sa besace en bandoulière, d'un air décidé.

 Je suis déjà mourant.

Fer détailla le blondinet de la tête aux pieds.

 Vous me semblez fort bien portant, le teint frais et les joues grasses. Mais prenez ce couvre-pied,  ajouta-t-il en lui tendant une fourrure noire.

Le jeune homme la saisit, la coinça en boule sous le bras et chuchota :

 Je l'étais jusqu'à présent, mais me sens affaibli. Le mauvais sort m'a choisi. Un chat noir m'est passé devant tout à l'heure.  

 Vous n'êtes pas sérieux ! Si, vous l'êtes ? s'étonna le vieux devant sa mine déconfite.

 En ville, les hommes disent avoir vu des gens mourir pour en avoir croisé. Les sorcières apprécient leur compagnie, avez-vous de telles abominations dans la vallée ? Ah, mon Dieu ! Le voilà qui lorgne au carreau !

Alors que le cordouannier, paniqué, se plaquait contre le mur opposé, le vieux ouvrit la fenêtre, laissa entrer l'animal en même temps qu'une brise glaciale. Le monstre fila se cacher près du lit sous les cris de l'inconnu.
 
 Vous accueillez l'enfer sous votre toit ! s'étrangla le jeune en se signant trois fois.

Calmez-vous, il s'agit de Lucie.

 Je ne resterai pas une minute de plus dans cette maison !

L'apprenti se précipita vers la sortie.

 Restez ! supplia le vieil homme. Attendez qu'octobre reprenne ses droits.

 C'est cette bête qui a fait venir l'hiver !

 Non, la faute à Eyjafjöll !

 Qui ça ?

 Un volcan Islandais qui crache ses cendres. Poussées par les vents jusqu'au dessus de chez nous, elles empêchent le soleil de réchauffer nos terres.

 Où allez-vous chercher pareilles idioties ! Dieu nous abandonne puisque nous laissons Satan prendre ses aises. Il faut lapider votre carne, immoler tous ces suppôts. 

Ne touchez pas à Lucie ! Elle me tient compagnie depuis le décès de ma femme.

Outré par ses propos, l'hôte ouvrit la porte à la volée et s'égosilla avant de détaler :

 Vous nourrissez le diable, vous méritez le bûcher ! Je pars vous dénoncer à l'abbé.

 Le seul monstre que je choie se nourrit de rats, hurla le vieux en le regardant disparaître dans la brume mortelle.

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 D'où venez-vous ? S'enquit, inquiet, l'abbé du Bec-Hellouin.

 La f-ferme du Vièvre, bégaya l'apprenti tant il tremblait et claquait des dents.

 Celle de feu Lucie Fer ? Vous devez vous tromper. Le seigneur a réduit la ferme et ses vilains en cendres parce que cette Lucie pratiquait la sorcellerie. Deux matous hantent la vallée aujourd'hui. C'est cette fourrure qui vous a protégé du froid. Sans elle, vous seriez passé de vie à trépas. Mais, c'est du chat ! se révulsa l'abbé après l'avoir effleurée du doigt. Jetez-moi cette horreur !

Quand elle toucha terre, la peau prit vie et s'enfuit...

L'apprenti clame depuis à qui veut l'entendre que croiser un chat noir porte chance.

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